Synapse Medicine lève 7 M€ pour contrer les risques médicamenteux

[L’interview Take Off] Synapse Medicine annonce ce lundi 6 juillet avoir bouclé une levée de fonds de 7 M€. Son dirigeant et cofondateur Clément Goehrs revient pour La French Tech Bordeaux sur la stratégie de déploiement de la jeune startup bordelaise.

Le take off, c’est l’ « entrée en vague » dans l’univers du surf : le moment où l’on quitte la position allongée pour se mettre debout et accélérer. L’interview Take off de La French Tech Bordeaux, c’est un éclairage sur la phase de décollage des startups les plus prometteuses de notre territoire. En face à face, dirigeants et dirigeantes nous livrent leurs fondamentaux, leur vision, leur business model. Comment ils prennent la vague, en somme. 
Premier à se frotter à l’exercice  : Clément Goehrs, CEO cofondateur de Synapse MedicineLa startup s’attaque à un problème de santé mondial  : le mauvais usage des médicaments. En résumé  : la jeune pousse aide le médecin à les prescrire, le pharmacien à les délivrer et le patient à les prendre. Pour ce faire, elle va chercher des informations indépendantes, fiables et à jour. Ses algorithmes vont ainsi éplucher automatiquement une littérature médicale, essentiellement écrite, et qui s’accroit à un rythme exponentiel. Utilisée par plusieurs milliers de professionnels de santé, les briques technologiques de Synapse traitent ensuite les informations et les rendent ensuite disponibles. La plateforme de «  Medication Intelligence  » renseigne, analyse les ordonnances en temps réel, sécurise les traitements mais elle ne décide pas. Elle n’est pas là pour cela. En bout de chaîne, c’est toujours le médecin qui prend la décision. L’enjeu est lourd et le débat récent sur l’hydroxychroloquine l’a montré crûment. Un chiffre, un seul  : rien qu’en France, les médicaments sont à l’origine de 130 000 hospitalisations et 30 000 décès par an en France. C’est l’équivalent de l’épidémie de Covid-19 chaque année en termes de décès et d’hospitalisations.

 

Il y a un an, Synapse Medicine annonçait un tour de table de 2,5 M€. Ton second tour de table, bouclée juste avant le début de la crise du Covid-19, est de 7 M€. Entre ces deux opérations, qu’as-tu appris  ?
Clément Goehrs  : C’était une année de confirmations plus que d’apprentissages. Elle a, je crois, montré que notre stratégie est la bonne  : ce qui nous importe au quotidien, c’est générer de la confiance. Depuis notre création il y a deux ans et demi, nous travaillons avec les acteurs publics, les assureurs, les mutuelles, les médecins, les pharmaciens… C’est un travail de fond, long parfois, mais qui porte ses fruits. Notre enjeu n’est pas de nous positionner comme un acteur tech mais comme un acteur d’une verticale très précise, celle du médicament. Ce n’est pas un hasard si c’est la MACSF, plus gros assureur des professionnels de santé, qui mène ce tour de table. Nous travaillons ensemble depuis plus d’un an.

Comment Synapse a-t-elle fait évoluer son modèle économique  ?
Il y a un an, nous lancions notre produit en mode SAAS lors de notre première levée de fonds. C’était assez simple  : le professionnel qui voulait l’utiliser se connectait au logiciel. Depuis, notre business model a évolué. Aujourd’hui, c’est l’intégration de différents modules de Synapse dans les systèmes de télémédecine qui tire nos revenus. Le marché nous a demandé cette évolution, avec des modules sur étagères qui peuvent chacun être appelé en une ligne de code. Nous maintenons en parallèle une version gratuite du logiciel pour les médecins et les pharmacies. Nos clients, ceux qui nous permettent de générer du revenu, sont donc essentiellement des sociétés de télémédecine, des assureurs, des mutuelles, des groupes de pharmacie… Les médecins ne génèrent pas de revenus pour Synapse et nous l’assumons.

Comment a été réalisée cette 2e levée de fonds  ?
Nous l’avons bouclée en quelques semaines avant le début de la crise du Covid-19 et le confinement avec la MACSF avec le soutien de XAnge et BNP Paribas Développement, Bpifrance, la Région Nouvelle-Aquitaine et Nicolas Dessaigne, cofondateur d’Algolia.

On n’y trouve que des investisseurs français, ce qui peut paraître étonnant pour une startup très tournée vers l’international depuis ses débutsEst-ce un hasard ou un choix  ?
C’est effectivement un tour français. Nous aurions théoriquement pu lever aux Etats-Unis. Nous y avons basé un membre de l’équipe, nous avons rencontré des VC américains. Mais on a choisi de faire les choses rapidement et de nous appuyer sur des acteurs que nous connaissons bien. La MACSF est le premier assureur des professionnels de santé, avec notamment plus de 170 000 médecins. C’est aussi un poids lourd européen. Tout cela a donc du sens pour nous. Et il n’est pas sûr que nous aurions pu lever plus aux US.

Quels sont les enseignements que tu tires, en tant que CEO de Synapse Medicine, de la crise du Covid-19  ?
Elle fait partie des très rares événements capables d’impacter l’ensemble de la planète. Si je ramène le sujet à Synapse, cette crise a mis en lumière deux choses : le besoin d’information partagée, à jour, et sa dimension mondiale. Elle a aussi eu un impact sur notre stratégie de développement international. Nous pensons qu’en Europe, il y a une place de leader à prendre dans l’aide à la prescription sur le segment de la télémédecine. Notre module permet de renforcer ces plateformes de télémédecine en leur intégrant un module d’aide à la prescription clé en main, sécurisant les ordonnances émises.

Tu n’as jamais caché que tu imaginais Synapse Medicine comme une entreprise mondialisée. L’Europe et ses 27 marchés te semblaient trop atomisés. Tu as changé d’avis  ?
Cette dimension mondiale, nous la revendiquons toujours. Nous avons quelqu’un aux USA, mon associé cofondateur part dans les prochains mois s’installer à Tokyo, et tout cela devrait se renforcer encore dans les prochains mois. Mais nous enregistrons actuellement beaucoup de demandes émanant d’acteurs européens. Du fait justement de l’atomisation des marchés, rares sont les entreprises qui ont su s’imposer dans plusieurs pays européens. Il suffit de voir comment Doctolib se bagarre en Allemagne… Mais certains ont réussi. Il n’est pas délirant de dire qu’avec la digitalisation de la santé, ce soit possible.

Il y a l’Europe de la Défense, nous aurions donc aussi une Europe de la Santé  ? 
Le parallèle est intéressant car la Défense et la santé pèsent très lourd dans les PIB… Je ne sais pas s’il y aura une volonté politique ou si elle serait suffisante. Le Covid-19 l’a montré  : l’étude européenne Discovery a été un fiasco, la gestion des frontières des Etats membres a elle aussi cruellement manqué de coordination. Est-ce que cela servira d’électrochoc  ? Non, du moins je ne crois pas aux électrochocs. En revanche, je suis persuadé que la période que nous vivons va accélérer très fortement la digitalisation de la santé. Le Covid-19 a accéléré ce phénomène qui aurait, de toute façon, fini par se matérialiser un jour ou l’autre. Dans ce contexte, oui, je pense que des acteurs de dimension européenne peuvent émerger. J’observe également que le capital investissement européen s’active et que les levées de fonds en centaines de millions d’euros sont plus nombreuses. Et je crois aussi que les gens ne veulent pas d’un Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR) en santé. Pour le moment, ils créent des infrastructures numériques mais ont du mal à aller plus loin.

Devenir un acteur mondial nécessitera obligatoirement d’enchaîner les levées de fonds  ?
La croissance organique classique aura ses limites, oui. Le modèle que nous avons choisi chez Synapse permet de la récurrence de chiffre d’affaires et est particulièrement scalable. Mais si on veut devenir très grand, il faudra être capable de réunir des fonds permettant un meilleur time to market. Je prends la levée de fonds pour ce qu’elle est vraiment  : un moyen de s’acheter du temps et de la rapidité. Et 2020 nous a appris à quel point la rapidité est importante en matière de santé…

La crise que nous venons de vivre a mis en lumière l’extrême défiance d’une partie de la population vis-à-vis de la technologie : les théories complotistes ont fleuri, parlant de puces dans les vaccins, de la responsabilité de la 5G… Or, Synapse Medicine s’appuie sur des algorithmes pour aider les médecins dans leurs prescriptions. Comment la startup compte-t-elle contrer cette méfiance ou cette ignorance ? En somme, l’Intelligence artificielle peut-elle battre les fake news  ?
Rappelons déjà que l’IA est un outil. Juste un outil. L’intelligence artificielle ne résout pas les problèmes : elle peut simplement aider le professionnel de santé en lui « pré-machant » le travail. On vient de le voir avec le Covid-19 : le déferlement d’informations venant de tous horizons a été incroyable. Soit on crée un service de 100 personnes pour tout passer en revue et analyser, soit on s’appuie sur des outils pour traiter des infos du monde entier. L’IA en est un.
Effectivement, le Covid-19 a été terrible avec une perte de confiance totale de la part de certains pans du public. Comment le leur reprocher ? On a vu Cyril Hanouna parler de balance des bénéfices et des risques à une heure de grande écoute. On a pu assister à des batailles rangées de médecins et d’experts sur les plateaux télévisés, disant tout et son contraire. Qui croire dans ce cas de figure ? La méfiance vis-à-vis de la technologie vient en effet se superposer et elle est compréhensible. On peut faire voler un avion sans pilote, mais qui serait prêt à monter dedans ? La position que nous défendons est de bien faire les choses, de les éprouver sans se précipiter. Peut-être aussi de démontrer que l’IA peut être plus régulière dans ses préconisations qu’un humain. Il y aura toujours de la défiance, qu’il nous faudra combattre en livrant une information neutre et la plus à jour possible.

Synapse Medicine a lancé, assez discrètement, son application gratuite grand public. En quoi Yuka a-t-elle ouvert une brèche  ?
Notre application enregistre quelques centaines de nouveaux inscrits chaque semaine. Yuka a créé une habitude, et rien que ça, c’est énorme. Pose la question à n’importe quel pharmacien  : ils te diront tous qu’ils voient à longueur de journée des personnes qui essaient de scanner les médicaments avec cette application  ! En soi, c’est très bien  : il faut juste que ce soit le bon acteur, un acteur pertinent et neutre, qui soit derrière ce type d’application pour livrer une information fiable et actualisée.